Oui ou non aurons-nous du charbon ?

Molotov favorable à la demande française

Et maintenant l'exigence française sur laquelle notre délégation ne capitulera pas fera-t-elle échouer la conférence ? Hypothèse que notre délégation n'accepterait certainement pas de gaité de cœur, mais la conférence, à mon avis, ne peut pas échouer sur cette question, bien que cet après-midi M. Bevin n'ait pas modifié son attitude antérieure. Tout le monde sait que la France, sur la question du charbon, joue sa vie. M. Molotov, cela ressort de ses dernières déclarations, nous est acquis. Le général Marshall n'a pas contredit son collègue britannique : tout ce qui ressort de mes renseignements pris à bonne source donnent à penser qu'il a compris le problème. M. Bevin est isolé. Osera-t-il faire « capoter » la conférence pour ne pas nous garantir quelques milliers de tonnes de charbon ?

Certes, si nous ne pesons pas d'un grand poids économique dans cette discussion, nous pesons encore d'un poids politique. On le sent bien ici. Je doute que l'opinion américaine puisse approuver  M. Bevin dont la ténacité pourrait être mise au service d'une meilleure cause. Il est quand même frappant, pour citer encore l'exposé de Georges Bidault, que « depuis quinze mois, plus la production augmente dans la Ruhr et plus la proportion des exportations diminue », que chaque Français continue d'avoir moins de charbon que chaque Allemand. Et puis, le ministre britannique ne se rendra-t-il pas lui-même à l'évidence ? Il a dit dernièrement que ce serait dangereux de laisser se créer en Allemagne une masse de main-d’œuvre inemployée et sous-alimentée. Serait-il plus prudent de la laisser se créer en France ?

Peut-être la délégation anglaise spécule-t-elle sur un changement de gouvernement en France ? On en parlait un peu trop ce matin à certains étages de l'hôtel Moskowa. Georges Bidault y a coupé court. Sans doute cette rumeur lui a-t-elle fait ajouter en dernière minute cette phrase : « Aucune autre attitude ne pourrait être adoptée par un autre gouvernement français ».

Demandons du charbon, demandons que le traité de paix nous en réserve expressément, non pas, contrairement à ce qui a été dit, une quantité fixe, qui serait peut-être trop rigide, mais une proportion « déterminée » pour reprendre les termes de Georges Bidault. Ici l'obstination de M. Bevin fait que souffle un vent d'orage sur la jeune alliance franco-britannique. Nous souhaitons que cet esprit d'alliance, dont on nous a beaucoup parlé, joue quand même et que pour le peu de charbon  que nous demandons qu'on nous garantisse, on ne fasse pas échouer la conférence.